Pour rejoindre le Brésil, j’ai préféré le bateau à l’avion. Et en général pour le voyage, le stop sera privilégié. Les bateaux de plaisance apparaissent être le moyen le plus facile de traverser l’Atlantique en stop. Après quelques week-ends de cours à l’ULYC (learning by doing), je n’ai pas seulement vu la voile comme le moyen d’arriver à mes fins, mais aussi comme la possibilité de découvrir un monde fascinant. Voulant donc traverser l’Atlantique à la voile, j’étais quelque peu pressé de rejoindre les îles Canaries car la majorité des voiliers qui partent pour les Caraïbes, le Vénézuela ou le Brésil s’y retrouvent en fin d’année. Mission accomplie, puisque j’écris ce message de Lanzarote, première grande île des Canaries, en venant de l’Europe.
Et voici le récit du voyage:
Jour 1 : Durnal-Lyon: départ en fanfare
C’est en ce 03 novembre 2010 à 11h30 que je quitte le petit nid douillet de Durnal, chez mon très grand frère Daniel Cauchy. Direction plein Sud et Lyon comme premier point de chute où j’espère trouver un Couchsurfer pour la nuit. Je commence dans la douleur avec plus d’une heure d’attente sous la pluie, à l’entrée de la E411 de Spontin, où Béatrice m’a gentiment déposé. Michel me sauve des dernières gouttes belges au moyen de sa Volvo break, ayant laissé la Maserati au garage à cause du temps. Arrivé à l’aire de Wanlin où il me laisse, je sais que le plus dur est passé. Les aires de repos ne m’ont jamais fait faux bond. Après un casse-croûte agrémenté de tomates dont j’ai arraché les plants flétris à Durnal peu avant mon départ, je rencontre Peter et Hilde, se dirigeant pour un court séjour vers les Ardennes. Parents de filles voyageuses, ils m’apprennent que l’une d’elle a réalisé un travail sur la situation politique en Argentine après un séjour là-bas, alors qu’on dépasse des camions citernes labellisés « Food tanks », ce qui ne manque pas d’éveiller ma curiosité. C’est d’ailleurs un tel camion qui me conduira jusqu’à Nancy. Antonio convoie du jus d’orange concentré depuis le port d’Anvers (mais sans doute en provenance du Brésil) pour l’amener en Suisse où il retrouvera toute sa liquidité, si j’ose dire. A la pause obligatoire, je quitte Antonio pour un trio composé de Dominique, Michèle et Patricia. Elles me laissent une heure plus loin, où je fais une rencontre peu banale. Il s’agit de Guy qui, éclairé de ses nombreux voyages, son travail dans son potager, son frère (?) bossant pour l’INRA, et bien d’autres choses encore, en connait un brin sur le sujet agricole. Il considère que tout ça relève finalement de la façon de se situer dans le cosmos. Passionné, il prône l’agriculture raisonnée, en diminuant drastiquement la chimie utilisée, peu convaincu que l’agriculture biologique seule puisse s’en sortir. Alors que je lui partage ma conviction que ce soit possible à long terme, il me parle de l’ergot du seigle, maladie qui serait selon lui évitée dans les champs bio grâce à la protection des champs conventionnels. Ceci dit, il me vante les mérites d’un mexicain obtenant des résultats prodigieux en bio, qu’il m ‘encourage à visiter si je passe par là. Après cette franche discussion, Mathieu, ingénieur pas très heureux chez Bouygues, partage avec moi la critique de l’attitude hypocrite de sa boîte en terme de travail des sans-papiers, engagés en intérim par des firmes sous-traitantes. Il me dépose à une station Leclerc, à proximité de Dijon. Je n’en crois pas mes yeux: wifi gratuit et produits du terroir de qualité. Je profite de la connexion pour apercevoir que Benjamin, guitariste décroissant, peut m’héberger pour la nuit à Lyon. Je lui confirme mon arrivée et rencontre par miracle mon dernier véhicule. Alors que je demande négligemment à une femme au pas décidé si elle va à Lyon, elle me répond qu’elle y va et accepte tout de suite de m’embarquer! Je découvre une famille arlonnaise bien sympathique qui va passer ses vacances dans le Sud. Je leur fais découvrir quelques morceaux de guitare, avant d’arriver à Lyon où je rejoins Benjamin, qui arrive à vélo la guitare dans le dos. Très sympa, je n’arriverai à le quitter qu’en début d’après-midi le lendemain, non sans s’être donnés rendez-vous à mon retour!
Jour 2: Grenoble: visite amicale
Dans ma poursuite de l’autoroute du soleil, j’ai choisi de visiter mon ami Marc Ollivier, économiste très très engagé, qui va encore me faire découvrir une nouvelle casquette, comme président de l’association grenobloise Dyade, associant art et engagement. Une rencontre exceptionnelle, qui me décide définitivement pour l’outil du micro digital, au lieu de la caméra, pour réaliser mes futures interviews. Niché sur la montagne, Marc vit dans un coin de paradis nommé « Les Arnauds », dans le village de Saint-Jean de Vaulx, qui plus est ensoleillé par un été indien dont je suis très heureux de profiter.
Jour 4: Marseille: les îles Canaries?
Après cette halte montagnarde, c’est la mer qui prend l’homme. Je quitte Grenoble de bonne heure, grâce à Bruno qui me réchauffe dans sa voiture du froid et de l’humidité matinales, qui prouvent que l’été indien est passé. Il me laisse près de Valence, après quelques discussions sur le moulage, Bruno étant sculpteur. Je suis alors pris par un trio féminin, qui n’a pas la même conception que moi du stop, puisqu’elle veulent que je participe aux frais, ce qui n’avait pas été franchement discuté. Leur entêtement est une première dans ma longue expérience du stop, et c’est assez déçu de cette attitude que je débarque à Marseille. Je me rends alors compte que l’unique membre de la capitainerie ignore où se trouvent les îles Canaries… A part un bateau ayant quitté il y a quelques jours le port de plaisance pour rejoindre les Canaries, il ne sait rien. Je décide donc de quitter le port phocéen, ce que je ferai finalement le lendemain matin, profitant de l’hospitalité de Pauline, la soeur de Benjamin, à qui j’apprends à jouer « Bella Ciao » à la guitare. De retour au stop non loin de la gare, Alain s’arrête assez rapidement. Malheureusement, on ne s’est pas bien compris et il me dépose dans une station-service dans la mauvaise direction. Heureusement, avant même que je n’aie trouvé la façon de m’en sortir, Magdeleine me demande où je vais et me propose de monter dans la Jaguar de collection conduite par Bernard, pour rejoindre le péage près d’Aix-en-Provence. L’attente y sera longue, mais Fabrice me permettra de faire d’une traite les 150 km jusqu’à Montpellier, relayé ensuite par Barbara jusqu’à Narbonne, puis par Daniel et Marité avec qui je passe la frontière alors que le nuit est déjà là. Peu de voitures à la gasolinera, mais José Luis, avec qui j’ai tout de suite un bon feeling, me dépose à Girona où je trouve une auberge de jeunesse pour passer la nuit.
Jour 6: Valencia: premier coup dans l’eau
Je suis accompagné pour faire du stop vers Barcelone. Manon, rencontrée dans l’auberge à Girona, entame une année de Woofing en Espagne. Elle tient le panneau alors que je gratte dans le froid, pour nous donner plus de chance. Après une heure d’effort, frigorifiés, on est tellement contents d’être pris par Francesc que j’en oublie ma guitare. Je n’ai donc plus le choix, je vais devoir m’en racheter une, ce que je comptais faire de toute façon en Andalousie! Laissant Manon continuer sur Barcelone, je peine à trouver un routier preneur d’auto-stoppeur, jusqu’à finalement partager le cockpit de Javier. Après une nuit à l’hôtel, j’apprends avec plaisir à la « Marina del sur » qu’un bateau d’Américains part pour les Canaries le lendemain. Ni une, ni deux, je me dirige vers le Sorcerer. J’y rencontre un savant américain très sympa, qui me dit de repasser quand le capitaine sera là, le soir. Ma déception est immense quand un autre membre de l’équipage me regarde de façon dédaigneuse le soir, rechignant à prévenir le capitaine. Celui-ci me fermera d’ailleurs la porte, lors de la rencontre que j’ai tenu a voir avec lui, prétextant qu’ils sont complets. Le coup est dur, car j’avais pris espoir, durant les quatre heures d’attente. Je loge à l’auberge où je rencontre Matthias, un jongleur voyageur bien sympathique, qui me remonte le moral. Aiguillé par le capitaine du Sorcerer vers Barcelona, d’où je pourrai rejoindre les Baléares pour ensuite les Canaries, je quitte Valence, une ville que j’ai appréciée, pour remonter sur Barcelona.
Jour 09: Barcelona: c’est fermé Monsieur
J’arrive presque par miracle à Barcelone, étant parti tard dans l’après-midi de Valence. J’ai d’ailleurs dû lutter pour tenir éveillé Rodriguès, transporteur d’oranges et mandarines, jusqu’à Barcelone. Comme quoi les auto-stoppeurs, ça a du bon. Il aurait peut-être vu le décor sans moi. Mais il est tard quand j’arrive et les auberges (très chères) sont pleines. Heureusement, José, malgré qu’il ait déjà d’autres Couchsurfers en visite, accepte de me dépanner. Il va s’avérer être un hôte fantastique, allant jusqu’à héberger trois étrangers dans son petit appartement situé à proximité du Port Vell, la plus grande Marina de la ville. Quand, après deux journées passées dans les capitaineries et les bars, je me rends compte que la piste de Barcelone est morte, je rencontre un groupe de skippers qui me conseillent d’atteindre rapidement Gibraltar, qui est un point de passage important pour les Européens qui descendent vers les Canaries. Je prends le bus jusque dans les faubourgs de la ville. Souffrant comme d’habitude pour le stop sur route, d’autant plus que la nuit est tombée, je suis pris presque par miracle par Marina, qui me propose de passer la nuit chez elle. Ancienne auto-stoppeuse, elle est aussi fan du Barça, et on regarde les Bluegrana dominer le troisième du championnat.
Jour 12: Sur la route du Maghreb…
Le moment fort de ce voyage vers Gibraltar est la rencontre avec Ali, Marocain vivant en Belgique. Il descend jusqu’au Maroc, à Tétouan. Après une hésitation, due à la charge importante de sa camionnette, il accepte de m’emmener à Gibraltar. C’est presqu’inespéré. Seul point d’ombre, pas de temps pour acheter une guitare. Sur le chemin, Ali veut voir un ami. Il vit clandestinement comme jardinier dans le Sud de l’Espagne. Et le petit frère de cet ami vient d’arriver quelques jours auparavant, caché dans une voiture pour la traversée en ferry. Ce que je découvre alors est effarant: c’est une dizaine d’hommes entre 20 et 40 ans qui vivent dans un taudis sur les hauteurs du village, tous travailleurs sans-papier dans les plantations de fleurs, situation connue de la police locale. Et ils viennent tous du … même village! Le petit dernier, 21 ans, est tétanisé par la peur. Quoi? C’est ça l’eldorado espagnol dont tout le monde parle au pays? C’est donc pour ça que son père a contracté un emprunt de 6000 euros pour le faire passer? La détresse de ses yeux est quelque chose qu’on ne peut pas oublier. C’est aussi une preuve implacable que le mythe de l’eldorado européen n’a pas fini de ravager les villages…
C’est dur de reprendre la route après ça, on va manger un bout avec Ali alors que les vitesses passent de plus en plus mal. Depuis le début, la quatrième ne passait pas. La marche arrière consistait en un saut du véhicule d’Ali, poussant le châssis d’une main et tournant le volant de l’autre. Maintenant, la troisième ne passe plus, et parfois la deuxième a du mal. Dans ces conditions, on ne peut pas aller plus loin, car il y a des vraies côtes entre Granada et Malaga. Ali fait appel à Touring-Secours et on est hébergé à l’hôtel à Granada pour la nuit.
Je laisse Ali le matin pour démarrer de bonne heure le stop. D’abord difficile à Granada à l’endroit où m’avait déposé Lucia, je vais bénéficier de plus de chance à partir de Santa Fe, que je rejoins en bus pour me mettre sur la route de Malaga. Les temps d’attente seront très courts aux station-services, et Nicola, Maria-Dolorès et Ahmed et Mehdi me permettant de rejoindre Gibraltar. Entre Granada et Malaga, on longera avec Nicola des champs hideusement symétriques d’oliviers, s’étendant parfois à perte de vue.
Jour 13: Gibraltar: the first one!
Quand j’entre en territoire britannique, le nuit est déjà tombée. Après un contrôle très sommaire de passeport, on traverse à pied l’unique piste de l’aéroport: folklorique! La sensation est agréable quand j’entre dans la marina située juste après l’aéroport: elle vit. De nombreux voiliers sont occupés et de plus, non protégés par des grilles de sécurité comme partout jusqu’ici. Je rencontre Tom et Gary au bar du coin, qui m’accueillent chaleureusement, et me guident dans ma recherche, notamment en m’indiquant un logement sur un bateau-hôtel qui me permet de passer ma première nuit sur l’eau. 25 pounds, mais au moins je dors sur l’eau! C’est avec une grande joie que je trouve mon premier bateau le lendemain matin: Carlis et Lena ont accepté presque sans rien demander. La chance me sourit. Je profite de ce répit pour grimper sur le rocher qui m’a fait croire au réveil que le temps avait changé. En fait, il fait une telle ombre sur la marina que le soeil n’atteint les pontons qu’après une heure ou deux.
Jour 15: Gibraltar-Lanzarote: inoubliable
Les aux-revoirs avec Tom sont très chaleureux. Je ne le connais pas depuis longtemps, mais ce marin britannique aux airs de pirate va me manquer.
La première vraie expérience de voile commence pour moi, sur ce Bénéteau de 43.4 pieds, tout automatique avec ses GPS, AIS et autre contrôleur de direction. On se demande presque ce qu’il reste à faire. Mais l’expérience des quarts est exigeante, et le début de la traversée un cauchemar. On a jusqu’à 40 noeuds de vent de face, notre allure atteignant à ce moment 0.5 noeuds. Ca, je ne le saurai qu’après. Je lâche prise bien avant 40 noeuds, suite à la houle incessante s’intensifiant depuis le début du voyage. Après deux heures, voyant mes difficultés, Carl me dit qu’une heure seulement suffit pour retourner. Ce n’est qu’au pris d’un effort énorme que je résiste, alors que je suis nu comme un ver en cabine, les projections d’eau salée ayant trempé tous mes vêtements qui ne s’attendaient pas à un tel démarrage. Malgré une nouvelle proposition de Carl, je ne veux pas céder, Lena m’aide à m’habiller, et je m’allonge pour finalement m’endormir. A mon réveil, on entre dans un port. C’est là que j’apprends que eux aussi n’en peuvent plus. Véritables enfants de la mer, Carl et Lena m’assurent que ce je ne suis pas la cause de l’arrêt, mais pour eux et le bateau, c’est vraiment trop dur pour continuer. Rassuré, je me remets peu à peu et les vents commencent à nous être favorables, sans toutefois dépasser les 10-15 noeuds, mais cette fois avec nous, soufflant du Nord. Le soleil est là, et je peux profiter de la traversée, vraiment. Des dauphins viennent même courser le bateau de temps à autres. Après 4 jours de traversée, nous longeons l’île de Graciosa avant que le soleil ne se lève, sur la musique espagnole émise par les ondes de Radio Canaria. Il est midi, et 11h heure locale (GMT) quand nous débarquons à la marina Rubicón, située au sud de l’île de Lanzarote.
Sébastien,
je me réjouis de lire les premières étapes de ton périple. Je te souhaite bon vent pour la suite.
Hervé