En approchant Mindelo, j’avais tout de suite ressenti une émotion particulière, comme quand on va revoir un être cher qu’on n’a plus vu depuis longtemps. J’allais retrouver l’Afrique. Maintenant au Brésil, je sais que ce que j’ai approché au Cap-Vert, je ne l’ai que peu compris. Le Cap-Vert n’était a priori qu’un point de passage, choisi volontairement pour sa musique et la possibilité de couper la transat en deux. Mais j’y serai finalement resté presqu’un mois, approfondissant mon apprentissage du bateau-stop et ma vision des marinas, et en effleurant quelques réalités locales.
Temps 1: hasta el visa
Avant même de débarquer, je comprend suite à une discussion avec un local que la marina dans laquelle nous arrivons a ce côté néo-colonial que je hais: « J’installe mon business, je mets des grilles pour le protéger, et j’emmerde ce qui se passe autour de moi ». A côté de la joie de l’arrivée, un pincement au coeur et une peur. Le pincement au coeur, c’est de quitter Maritéa. La peur elle, est relative au visa. Ancienne colonie portugaise, le Cap-Vert est un état indépendant, il en faut donc un. Pour un douanier, deux choses sont importantes vis-à-vis d’un type comme moi: s’assurer qu’il a les moyens de vivre dans le pays et qu’il a un moyen de le quitter (un billet retour en avion classiquement). En-dehors de ces conditions, il faut user de diplomatie, ou tout simplement être très discret (ne pas insister sur le fait que l’équipage va changer), et espérer que ça passe. Pour faire l’entrée à l’immigration, je tente la première option, et c’est la déception: le type ne veut bien me laisser que 10 jours de visa après le départ d’Eric et de Maritéa, visa que je devrai aller chercher quand le bateau part. En attendant, j’ai un visa temporaire portuaire au prix dérisoire de 10 Escudos cap-verdiens, soit environ 1 euro. Au total, ça fait deux petites semaines pour trouver un bateau: court mais néanmoins faisable. Discutant un peu avec d’autres bateaux-stoppeurs, il apparaît que le visa portuaire suffit et est valable au moins un mois. C’est plus détendu que je rejoins le pick-up qu’Eric a loué pour faire un tour sur l’île voisine: São Antão. Invitant une série d’équipiers en attente de bateau, il déculpabilise ainsi un peu d’avoir loué ce monstre de consommation, conseillé par l’agence alors qu’il s’orientait vers un modèle plus écolo. L’île est magnifique et contrairement à São Vicente, très verte. Je me promets de revenir plus longtemps dès que j’aurai un bateau pour le Brésil. Lorsqu’Eric retourne à l’immigration pour sortir du pays, on ne lui fait aucune remarque sur le changement d’équipage, et je suis définitivement soulagé pour le visa quand je leur fais mes adieux.
Temps 2: le monde du bateau-stop
D’autres qui ont vraiment un problème de visa, ce sont les quatre équipiers débarqués d’un catamaran fou. Ils font partie de la dizaine de bateau-stoppeurs qui ont rejoint Mindelo en quête d’une possibilité de transat. Mais leur cas à eux est particulier: leur capitaine les a littéralement jetés sur le ponton, après une fin de traversée très difficile où il leur a balancé des boîtes de conserve à la figure, dans un moment d’ivresse dépressive. Encore sous le choc, le quatuor franco-néerlando-italo-germanique a vu le skipper repartir seul sans prendre la peine d’aller à l’immigration avec eux, ni de leur rembourser une partie de la somme qu’ils avaient payée pour la transat complète. Car si dans mon cas, je fais du stop, négociant pour juste participer aux frais que j’occasionne (eau, nourriture), d’autres payent pour être sur le bateau. En tout à leur arrivée, c’est donc une dizaine de bateau-stoppeurs qui errent en quête d’un bateau. La plupart veulent juste faire la transat, mais quelques-uns veulent comme moi rejoindre le Brésil. De la concurrence… Moi qui vise la coopération, il va falloir faire avec. Car si l’ambiance est bonne entre nous (on passe Noël et le Nouvel An ensemble), on peut sentir un certain stress monter. Les premiers trouvent assez vite: c’est relativement simple pour les Caraïbes. Par contre, le Brésil s’avère être une destination plus rare. Arpentant journalièrement des pontons surchauffés, je fais des rencontres intéressantes, notamment celle de Christophe et sa petite famille, vivant depuis 17 ans sur leur bateau. Invité à monter à bord pour parler du jeu de la ficelle, je découvre l’ébauche du jeu éducatif que Manon, la fille aînée, est en train de créer sur l’alimentation. Une merveille que je l’encourage à faire aboutir!
Temps 3: Nouvel an local
Les réveillons de Noël et du Nouvel An entre bateau-stoppeurs m’ont laissé un goût de trop peu: je me suis très peu approché des locaux, tellement actif que j’étais à la marina. Lorsque j’entends la fanfare locale au loin, ce matin de premier janvier, je prends mon micro et mon appareil-photo et sors nerveusement en quête du cortège. Quand je le rejoins, je suis trop heureux. Je vais pouvoir enregistrer cet air des fêtes, que le groupe joue en boucle en passant dans chaque quartier. Ca me rappelle un peu le carnaval de Binche. Plusieurs fois, je pense rentrer. Mais il y a quelque chose de magique dans ce défilé, véritable performance d’endurance de la part des musiciens. Et à chaque fois je reste… Le temps n’existe plus, nous sommes comme un seul corps dansant dans la rue, en communion. J’ai envie de connaître les paroles de la chanson et c’est Suzana qui me les met gentiment par écrit. Jaad et Bernard, autres étrangers sous le charme, essaient alors comme moi d’apprendre le texte en créolio (même si le portugais est la langue officielle, le créole est la langue populaire). Quand « Boas festas » se termine, Suzana nous invite à prendre un verre chez elle. Son hospitalité fait chaud au coeur, et c’est une belle rencontre qui clôture les festivités du premier janvier.
Temps 4: El mosquito
J’ai finalement réussi à organiser une soirée guitare à la bodeguita, bar dont le proprétaire, Bruno, parle français et espagnol, mais pas portugais! Un grand moment, où se mêlent les styles musicaux de chacun. L’assemblée découvre la voix exceptionnelle de Lourdes, sur « Invitable » de Shakira. Sans logement ce soir-là, José propose de m’héberger sur leur bateau, Mosquito Valiente. Le matin tombe sa proposition: ils peuvent nous embarquer, Aurélie et moi pour le Brésil. Je n’hésite pas longtemps, et partage la nouvelle avec Aurélie: ça y est, on l’a enfin notre bateau pour le Brésil! Avant le départ, on visite São Antao, que je retrouve avec plaisir. Puis c’est le départ, et des au-revoirs difficiles. Je pense à cette musique particulière, la morna, et le terme saudade, qui y revient souvent et dont la traduction pourrait être mélancolie. Saudade, estas en Cabo Verde…