Citoyen du monde, j’ai décidé à 27 ans de prendre le temps de réaliser un grand rêve: voyager. Mais pas n’importe comment, en y mêlant mon engagement, dans une quête de cohérence et de sens. Comment en suis-je arrivé là?
Aimant les voyages, celui que j’ai réalisé à 20 ans avec mon ami Xavier m’a donné le goût de l’aventure: sac-à-dos, tente, guitare, auto-stop, un tracé un peu aléatoire entre notre point de départ et notre point d’arrivée,… Deux semaines et 300 km plus tard, j’étais totalement sous le charme de cette simplicité dans le voyage, sans chercher à contrôler le temps et l’espace mais en vivant intensément le moment présent.
Mes études d’ingénieur terminées, quelque chose coince pour moi avec le « monde du travail » tel que je le connais. Cherchant davantage de sens dans ce que je fais, je m’intéresse alors à la coopération au développement. Après quelques mois durant lesquels je tente de faire des liens entre universitaires et ONG, je pars un mois au Bénin et au Togo, pour une mission d’identification en besoins techniques. Ce voyage, d’une très grande intensité, bouleverse totalement ma vision du monde. Non, le continent africain n’est pas un continent pauvre que les pays « riches » tentent d’aider! Mensonge pur! Il s’agit d’un continent extrêmement riche, du point de vue culturel comme des ressources et c’est d’ailleurs pour ça qu’est organisé son pillage effréné, en détruisant au passage les modes de vie qui y sont pratiqués, allant jusqu’à l’extermination de populations entières, populations parfois montées les unes contre les autres et armées allègrement par ces mêmes pays « riches ». Ressources contre armes n’est pas le seul troc, quand l’argent intervient, il part aussi bien souvent dans les paradis fiscaux. C’est ma rencontre avec le capitalisme, et la politique qui jusque là ne m’avait guère intéressé. Je ne lisais que les pages « Sport » du journal… Mais le petit bouquin prêté par mon ami Christel sur la Françafrique me bouleverse tellement que mon indignation n’ira que grandissant. Quand je rencontre le chef de ce petit village au Togo, et que je lui parle de ma mission, il me regarde dans les yeux et me dit, à-travers Emmanuel mon traducteur: « Tout ça c’est très bien, mais la seule chose dont on ait besoin ici ce sont des engrais! ». Si le village ne recevait pas d’engrais, il n’y aurait pas de récolte, et ce serait la famine pour le village. C’est là que je comprend l’importance de l’agriculture, sans aucun doute l’énergie la plus importante pour l’homme. Mais ce n’est qu’en rentrant en Belgique et en lisant « Paroles de terre » de Pierre Rabhi que je découvre le mécanisme scandaleux des engrais, dont j’avais juste perçu le côté politique local en apprenant que le gouvernement togolais les bloquait…
Rentré au pays, je quitte mon boulot et profite de ce moment pour me former. C’est à ce moment que je rencontre le GAC de LLN, un groupe d’achats qui est une véritable plaque-tournante des alternatives dans la ville universitaire. Je modifie ma façon de manger, et participe activement dans le GAC et d’autres mouvements locaux. Lors de la préparation d’une action contre la consommation lors du marché de Noël, je découvre avec admiration le « Jeu de la ficelle ». C’est parti pour une grande histoire d’amour avec le jeu et son approche systémique. Dévorant formations et conférences, je suis très actif et commence à animer le « Jeu de la ficelle » avec de nombreux publics.
C’est donc tout naturellement que je lie cet outil fantastique à mon grand voyage. Après des mois de discussions et rencontres avec Rencontre des Continents, le choix est fait de travailler sur la suite du jeu. Au-delà de la dénonciation du système actuel, il s’agit de raconter des histoires inspirantes, celles de groupes qui, faisant face à ce système, agissent en créant du lien. Du lien entre les hommes bien sûr, mais avec la toile de la vie dans son ensemble.
Mon voyage est donc, dès le départ, une expérience collective! Et parce que nous sommes avant tout un tissu de liens, en voici quelques-uns qui me portent alors:
- Les amis du GAC de Louvain-la-Neuve
- Les amis de Rencontre des Continents asbl
- Les amis du Théâtre-Action
- Les amis du mouvement des objecteurs de croissance
- Les Colibris qui font tous leur part
- Les Indignés qui font preuve d’une belle énergie
Mon voyage va en tisser d’autres!
En Europe tout d’abord, où je rejoins le Forum Social Européen d’Istanbul. Là, je rencontre les amis de Longo Maï, un réseau européen de coopératives agricoles et… bien plus que ça! Je passerai d’ailleurs trois semaines dans la coopérative allemande d’Ulenkrug, après des arrêts par Permaship où je rencontre Paul, en Bulgarie et Kaszonszek où je rencontre Arón, en Roumanie.
En Amérique du Sud ensuite, continent que je rejoins en bateau-stop depuis l’Europe. Je passe deux ans et demi sur le continent sud-américain, avant de me mettre en route vers le Chiapas. Au Brésil, je passe plusieurs mois avec le Mouvement des Sans-Terre, avant de me diriger vers Jacobina, dans l’Etat de Bahia. Là je travaille avec l’école de permaculture Umbuzeiro et la coopérative COFASPI, tout en étant logé par le Padre José, un prêtre autrichien de la théologie de la libération, et héros vivant de la région. Je passe ensuite par la Bolivie, m’arrêtant dans le village de Presto pour travailler avec l’école du village. En Argentine, je rejoins le « Théâtre de l’opprimé » local, à Jujuy. Près de Cordoba, je rencontre Manuel et Suzy et leur coopérative extraordinaire, travailant la laine des lamas et moutons du coin. De retour au Brésil, pour assister au Forum Social de Porto Alegre, je rejoins Ocupa POA, les indignés locaux. Je ne pars de Porto Alegre que de longs mois plus tard vers l’Amazonie, passant par Rio +20. Je rejoins Xingu Vivo pour lutter avec les pêcheurs locaux contre l’impressionnant barrage du Belo Monte, avant de remonter l’Amazone jusqu’au Pérou. Objectif: Quito et mes amis Serge et Majo qui y habitent. Cherchant à me reposer à la campagne, j’arrive à La Esperanza où je reste six mois qui resteront gravés dans ma mémoire comme les plus aboutis de mon périple. Je contribue alors un peu à la construction du projet agro-écologique local. En avril 2013, je pars pour le Chiapas, après de longs et chaleureux aux-revoirs. Je rencontre presque par hasard « l’école en marchant » en Colombie, avant de me diriger vers la mer. A Cartagena, je trouve mon voilier en faisant du bateau-stop à la nage. Amélie m’accompagne sur le chemin vers le Nicaragua, et on rencontre à Panama les Ngäbe-Bugle, résistant contre… un projet de barrage. Le Chiapas est en vue, après un ennui de passeport. Je participe in extremis à « La petite école zapatiste » et rencontre le tissu associatif local, incroyablement riche. Impliqué dans l’éducation populaire, le jeu de la ficelle m’ouvre les portes d’une formation avec Juanfri, cubain. Une rencontre internationale de la Via Campesina autour de l’agroécologie comme prétexte, et me voilà à Cuba pour rencontrer l’équipe de Juanfri, CEPRODESO. Puis le retour se précise, et c’est en avion que je rejoins la Belgique.
De retour en Belgique depuis mars 2014, je connais un retour éprouvant. Au choc culturel du lieu s’ajoute celui d’un mode de vie beaucoup plus sédentaire. Mon voyage ayant épuisé toutes mes ressources financières, la question économique m’occupe beaucoup, et je trouve rarement la cohérence que je recherche dans les boulots qu’on me propose. Je réalise un voyage en France en avril 2015, passant par Longo Maï avec Géraldine, ma compagne. Puis un autre seul en Espagne en octobre 2015, à la rencontre des « Indignados ». Si je ne fais que de courts voyages, ceux-ci restent dans le même esprit, en stop, et à la rencontre d’amis qui contribuent à faire bouger les choses!
Fin 2015, je me décide à créer un spectacle auquel je pense depuis des années, et dont j’ai déjà esquissé les traits durant mon voyage, à travers des conférences gesticulées, au Brésil et au Chiapas. Je lance un financement participatif pour soutenir ma création en mars 2016, juste après la naissance de ma fille, Liberté. Les Amis de la Terre Belgique me rejoignent peu après, souhaitant m’inclure dans leur projet » Avec le Sud, on ne perd pas le Nord ». Une belle collaboration commence, qui m’amène à créer un théâtre-forum sur le barrage de Barro Blanco au Panama. En février 2017, je présente « Voyage en Abya Yala » pour la première fois…