Cette petite note fait suite à la vidéo-conférence réalisée il y a quelques semaines avec la classe de 5°C du Collège de Gembloux, en Belgique. M’entendant critiquer l’idée que nous (occidentaux) serions “développés” et pas d’autres, une élève m’a logiquement demandé: “C’est quoi pour toi être développé?”. Difficile de répondre à cette question… Mais se la poser est important, et en regardant d’un peu plus près l’histoire de ce concept, porter un regard critique sur la société.
Quelques petites citations pour commencer, d’auteurs francophones ayant un certain regard critique sur la chose :
« Ainsi, la société occidentale persiste-t-elle à penser qu’elle incarne l’avenir de toutes les sociétés. Sa mission civilisatrice s’est transformée en une mission d’aide. Et les sauvages d’hier étant les sous-développés d’aujourd’hui, ceux qui, hier, les civilisaient, aujourd’hui, les développent. »
[François PARTANT]
« Le robot culinaire, comme l’automobile, le comprimé, l’ordinateur ou le téléviseur, dépend entièrement de l’existence de vastes systèmes d’organisation et de production soudés les uns aux autres. Quiconque appuie sur un interrupteur ne se sert pas uniquement d’un outil mais se branche sur un raccordement du système. Entre l’utilisation de techniques simples et celles d’outils modernes se trouve la transformation d’une société toute entière. »
[Wolfgang SACHS]
« Le développement est constitué d’un ensemble de pratiques parfois contradictoires en apparence qui, pour assurer la reproduction sociale, obligent à transformer et à détruire, de façon généralisée, le milieu naturel et les rapports sociaux en vue d’une production croissante de marchandises (biens et services) destinés, à travers l’échange, à la demande solvable. »
[Gilbert RIST, in « Le développement, histoire d’une croyance occidentale »]
Je crois qu’il s’agit avant tout de réfléchir au-delà du développement, et non de chercher à en donner une meilleure définition, bien que j’apprécie celle de Gilbert Rist. C’est en 1949 que le développement a été formulé comme tel par le président étasunien Truman. Il s’agissait de faire croire que d’une part le modèle capitaliste était l’exemple à suivre et que d’autre part, tous ceux qui suivraient l’exemple des pays riches pourraient un jour arriver à leur niveau.
L’interview de Wolfgang Sachs (« Le développement, un concept du passé ») parue dans « Le Monde » en 2000, ainsi que le carnet d’accompagnement du jeu de la ficelle (p.33) vont plus loin dans l’étude historique.
Mais dans un monde aux ressources limitées, ça ne tient pas la route, étant donné le niveau de consommation des riches. On a donc inventé le concept de développement durable. Personnellement, j’avais trouvé ça séduisant. C’est même ce qui a démarré mon embryon d’analyse systémique. J’en ai fait mon travail de fin d’études il y a 10 ans. Mais si on y regarde d’un peu plus près : le développement durable c’est continuer à faire un peu plus de tout (et donc de la même choses), et aussi un peu plus d’écologie. A bien y réfléchir ça ne tient pas beaucoup plus la route, puisqu’on reste dans une logique de croissance perpétuelle qui est impossible avec des ressources limitées. C’est la base de tout un mouvement qui s’appelle la décroissance, ou encore l’objection de croissance, dont je fais d’ailleurs partie.
“Pour croire à une croissance infinie dans un monde aux ressources finies, il faut soit être un fou, soit être un économiste”
[Kenneth BOULDING]
Pour aller plus loin, jeter un oeil aux articles de Serge Latouche « Et la décroissance sauvera le Sud », paru en 2004 dans Le Monde diplomatique et de Gilbert Rist, répondant aux détracteurs de la décroissance en 2005, article bourré de bonnes références.
Mais n’en restons pas à la théorie ! Le cas du TIPNIS que j’ai rencontré en Bolivie va nous servir d’exemple pour illustrer le sujet. Le gouvernement bolivien, soucieux de fortifier la croissance économique du pays, veut construire une autoroute reliant le Beni à Cochabamba, le trajet actuel étant très long. Problème: le tracé prévu passe au centre d’un parc naturel qui en plus comporte des communautés indigènes. Contrairement à ce que prévoie la nouvelle constitution de l’état plurinational, les communautés concernées ne sont pas consultées, et les travaux débutent, perpétrés par une entreprise brésilienne. Mais la résistance s’organise car, au-delà du non-respect de la constitution, c’est un parc naturel important qui est menacé. Le dilemme pourrait donc s’apparenter au suivant : sauvegarder ce patrimoine et laisser isolées les zones du Beni et de Cochabamba, ou construire l’autoroute et couper la réserve en deux. En fait, il s’agit d’un problème de vision du développement, et d’intérêt collectif à différentes échelles. La volonté de communautés d’indigènes minoritaires à l’échelle du pays peut-elle contrecarrer les plans de développement du gouvernement ? Le gouvernement a-t-il le droit au nom du progrès, symbolisé ici par une autoroute, de renier les droits récemment reconnus des peuples indigènes ? Le débat auquel j’ai assisté montre qu’on peut à la fois construire cette autoroute (qui permettra un gain de temps considérable pour relier le territoire du Beni) et respecter les indigènes et leur réserve, en modifiant le tracé prévu. Car en effet personne n’était contre le fait de construire une autoroute, ni contre le fait de préserver le parc. L’avenir dira si cette solution, plus chère qu’un tracé direct, car plus longue, l’emportera sur la version qui a provoqué une importante mobilisation dans le pays, autour de la marche des indigènes vers La Paz, pour manifester leur mécontentement. Si le gouvernement a fait marche arrière, suite au scandale de Yucumo où les policiers sont intervenus violemment, la proposition de réferendum n’est pas forcément salutaire, la majorité des populations des départements étant favorables à l’autoroute, du moment qu’elle passe par chez eux! A suivre…
Ici aussi des documents à proposer, mais la plupart en espagnol :
J’espère que ces liens et cet exemple permettront la réflexion sur le sujet principal que le développement pose : « à quel projet collectif sommes-nous en train de participer, consciemment ou non ? ».
D’un objecteur de croissance, de vitesse, et bien plus que ça !