Il y a des informations qui ne passent pas. Michel Collon en parle d’ailleurs régulièrement sur son site, consacré à la dénonciation de la désinformation. Un bel et grand événement a lieu a Bruxelles à partir de demain… La petite fable suivante est liée à ce grand moment et devrait aider les non-économistes comme moi à comprendre ce qu’on appelle « LA CRISE ». A entendre continuellement prononcer ces mots, on en aurait presque la chaire de poule nom d’une ficelle! Voici la fable:
Un homme portant cravate se présenta un jour dans un village. Monté sur une caisse, il cria à qui voulait l’entendre qu’il achèterait cash 100 euros l’unité tous les ânes qu’on lui proposerait. Les paysans le trouvaient bien un peu étrange mais son prix était très intéressant et ceux qui topaient avec lui repartaient le portefeuille rebondi, la mine réjouie. Il revint le lendemain et offrit cette fois 150 euros par tête, et là encore une grande partie des habitants lui vendirent leurs bêtes. Les jours suivants, il offrit 300 euros et ceux qui ne l’avaient pas encore fait vendirent les derniers ânes existants. Constatant qu’il n’en restait plus un seul, il fit savoir qu’il reviendrait les acheter 500 euros dans huit jours et il quitta le village.
Le lendemain, il confia à son associé le troupeau qu’il venait d’acheter et l’envoya dans ce même village avec ordre de revendre les bêtes 400 euros l’unité. Face à la possibilité de faire un bénéfice de 100 euros dès la semaine suivante, tous les villageois rachetèrent leur âne quatre fois le prix qu’ils l’avaient vendu et pour ce faire, tous empruntèrent.
Comme il fallait s’y attendre, les deux hommes d’affaire s’en allèrent prendre des vacances méritées dans un paradis fiscal et tous les villageois se retrouvèrent avec des ânes sans valeur, endettés jusqu’au cou, ruinés.
Les malheureux tentèrent vainement de les revendre pour rembourser leur emprunt. Le cours de l’âne s’effondra. Les animaux furent saisis puis loués à leurs précédents propriétaires par le banquier. Celui-ci pourtant s’en alla pleurer auprès du maire en expliquant que s’il ne rentrait pas dans ses fonds, il serait ruiné lui aussi et devrait exiger le remboursement immédiat de tous les prêts accordés à la commune.
Pour éviter ce désastre, le Maire, au lieu de donner de l’argent aux habitants du village pour qu’ils paient leurs dettes, le donna au banquier, ami intime et premier adjoint, soit dit en passant. Or celui-ci, après avoir rétabli sa trésorerie, ne fit pas pour autant un trait sur les dettes des villageois ni sur celles de la commune et tous se trouvèrent proches du surendettement.
Voyant sa note en passe d’être dégradée et pris à la gorge par les taux d’intérêts, la commune demanda l’aide des communes voisines, mais ces dernières lui répondirent qu’elles ne pouvaient en aucun cas l’aider car elles avaient connu les mêmes infortunes. Sur les conseils avisés et désintéressés du banquier, toutes décidèrent de réduire leurs dépenses : moins d’argent pour les écoles, pour les programmes sociaux, la voirie, la police municipale… On repoussa l’âge de départ à la retraite, on supprima des postes d’employés communaux, on baissa les salaires et parallèlement on augmenta les impôts. C’était, disait-on, inévitable mais on promit de moraliser ce scandaleux commerce des ânes.
Cette bien triste histoire prend tout son sel, quand on sait que le banquier et les deux escrocs sont frères et vivent ensemble sur une île des Bermudes, achetée à la sueur de leur front. On les appelle les frères Marchés.
Très généreusement, ils ont promis de subventionner la campagne électorale des maires sortants.
Cette histoire n’est toutefois pas finie car on ignore ce que firent les villageois.
Et vous, qu’auriez-vous fait à leur place ? Que ferez-vous ?
Pour nous retrouver tous sur la place principale des villages et villes,
le samedi 15 octobre 2011 (journée internationale des indignés)
Faites déjà passer cette histoire à votre voisin
(Toute ressemblance avec une situation existante
ou ayant existé n’est, bien sûr, que pure coïncidence …)
1ere marche européenne des indignés partie d’Espagne.
Arrivée à Bruxelles vers le 8 octobre 2011.
Journée internationale des indignés
samedi 15 octobre 2011
Source originale, en espagol, ici. Version française prise sans doute ici. J’ai aussi trouvé une critique virulente de cette fable, ici. C’est toujours intéressant d’entendre des points de vue opposés, même quand il font autant de raccourcis et ne citent pas leurs sources! Ceci dit, je trouve un peu limite (de l’auteur qui sans donner son nom se croit aussi visiblement plus intelligent que les autres) de dire que les Etats ont prêté de l’argent avec intérêt, que les banques ont remboursé! C’est bien mal connaître le dossier des relations entre banques et nations européennes (ou bien est-ce du mensonge de propagande?). Je vous envoie à l’excellent travail du CADTM, dont le sérieux est mondialement reconnu.
Sachez enfin que cette fable est le fruit d’un financier, d’après le blogger espagnol, et ce qu’elle explique didactiquement avant tout, pour moi, c’est la spéculation, la virtualité de l’économie et la soumission de tous à cette dernière. A diffuser!
Je disposais du contact de Maïté dans mon carnet d’adresse depuis la Belgique, mais c’est finalement par hasard que je l’ai rencontrée à Sucre en visitant l’ONG ASUR. Très occupée, c’est avec son mari Richard (alias Ricardo ici) que j’ai le plus causé, et les récits enflammés qu’il m’a faits des aventures d’André, le frère de Maïté, m’ont convaincu à aller faire un tour dans le Nord Potosi. Potosi, c’est la mine. Et même Germinal diront certains, tant les conditions de travail sont rudes. La mine de Potosi a déjà vu sortir de ses entrailles des tonnes et des tonnes d’argent depuis 500 ans et le filon n’est pas mort. Le procédé utilisé me rappelle la mine d’or de Jacobina: un barrage de rétention avec l’eau contaminée, ici au mercure et non au cyanure. D’ailleurs c’est bien simple, un barrage a déjà lâché, créant une pollution infernale. Mais je ne suis pas allé jusqu’à Potosi. J’ai juste accompagné André, chirurgien belge reconverti en prêtre jusqu’à sa base de Colquechaca, avant de visiter deux communautés « al campo » à Chayrapata et à Achumani. Puis on est revenu faire la fête à Colquechaca, en l’honneur de San Bartolome. C’est là que je me suis initié au Tinku, danse locale utilisée jusqu’il y a peu avant de se tapper dessus à coup de poings et de pierres, parfois jusqu’à la mort, tout le monde se serrant dans les bras une fois terminé… Mais le travail d’André a largement diminué cette pratique, qui n’existe plus qu’en de rares endroits. Le fait de voyager avec « Padre Andres », vivant depuis 30 ans dans la région, et ayant une compréhension profonde des réalités locales de par ses fonctions m’est apparu comme une aubaine. En plus à partir de la mi-août, c’est le moment des fêtes. André se rend donc un peu partout célébrer baptêmes, mariages, messes diverses, le tout arrosé par une quantité tout à fait déraisonnable de chicha, la boisson locale à base de maïs. Et on ne peut pas refuser quand on est invité. Par contre, on peut se faire aider, technique que j’ai utilisé à profusion, en particulier quand arrivait un seau complet du breuvage. Finalement, beaucoup de choses en peu de temps, et une solide grippe en rentrant, ayant au passage passé pourt la première fois la barre des 4000m, notre point culminant lors de nos balades ayant été de 4800m. De très chouettes rencontres aussi, avec quelques personnes engagées qui ont de belles idées. Un grand merci à Lara et à Mario! Et de beaux souvenirs, je vous laisse les photos!
Comme prévu José m’a concocté un programme chargé pour rencontrer les ONGs locales, liées à l’agriculture paysanne. Malheureusement, je me rends vite compte que l’agro-écologie n’est guère pratiquée dans la région, ce que m’avait déjà montré mon passage par Los Valles. Néanmoins, les échanges sont riches et des propositions de collaboration en sortent, notamment via le jeu de la ficelle, adapté rapidement à la réalité bolivienne. Le changement climatique est un sujet bien actuel ici, car depuis cinq ans, la pluie est capricieuse et peut arriver avec deux mois de retard. La priorité des ONGs est d’ailleurs la sécurité alimentaire, en augmentant la production. Il n’est donc pas étonnant de constater l’omniprésence de la chimie. Il y a aussi une très forte migration des campagnes vers les villes, voire vers les pays voisins, en particulier l’Argentine et le Chili.
En rencontrant l’ONG Pasos, mon attention est attirée par l’un de leurs projets, « el desayuno escolar ». Il s’agit d’un phénomène qui s’étend dans tout le territoire: transformer le repas à l’école pour qu’il soit diététiquement adapté et en se fournissant le plus possible chez les producteurs locaux. Rendez-vous est pris pour visiter les écoles concernées (primaire et secondaire) à Presto, à environ deux heures de Sucre. Arrivé sur place, j’apprends que les directrices sont charmées par mon projet et ont déjà organisé une rencontre avec tous les professeurs! Un peu pris de court, je décide de leur proposer un jeu de la ficelle un peu différent: construire ensemble le système du « déjeuner scolaire ». Ayant un peu de mal à me comprendre, les profs vont petit-à-petit rentrer dans le jeu et me permettre, sans s’en rendre compte d’obtenir déjà de précieuses informations sur le projet, mais surtout sur leur perception de celui-ci. Expérience très riche que je répèterai sans aucun doute dans l’avenir. Le lendemain, je passe voir les deux directrices. Celle du secondaire me propose d’intervenir dans les cours, ou de faire une conférence. Finalement, on opte pour une journée complète de réflexion autour du jeu de la ficelle avec les classes de 5° et de rhéto. Visitant la classe de 5° en plein cours d’histoire sur la guerre froide, je suis ébloui par ce que je vois: un jeu de rôle est proposé par l’enseignant, un tiers de la classe jouant les capitalistes, un tiers les socialistes, et un tiers les centristes. Les élèves sont très impliqués et le débat d’une richesse qui me laisse rêveur… A quand de telles méthodes dans les autres écoles? Le fait de parler de l’Impérialisme est aussi significatif. Ici, l’histoire paraît bien différente de celle enseignée outre-atlantique. C’est au terme d’un échange très chaleureux avec ce prof d’histoire que je cours vers le bus qui me ramène à Sucre. De belles choses en perspectives!
2 juin, date de la dernière publication… Il est grand temps que je reprenne la plume en main, ou plutôt le clavier! Mon AZERTY en l’occurence, ce qui me change du QWERTY maintenant devenu hispanophone. C’est d’ailleurs avec un pincement au coeur que je quitte le brésilien (ben oui, c’est quand même un peu différent du portugais, quand je chantais du fado ils ne comprenaient rien ;-)) pour revenir à l’espagnol, tentant de conserver les deux langues, ce qui a l’air de fonctionner pour le moment.
J’en étais donc resté au Jogo da Corda, première activité que j’avais organisée à Jacobina, avant une journée sur les banques de semences communautaires, suivie de près par une représentation de théâtre de rue pour parler des impacts sociaux et environnementaux de la mine d’or.
Jour 251
C’est finalement le 12 juillet à l’aube que j’ai quitté la “cidade de ouro”, sans dormir, ayant quitté mes amis tard dans la nuit pour ponctuer à l’arraché 3 mois très actifs. C’est en tentant de ne pas réveiller mes “frères” endormis que j’ai pris mon sac, et ai dit au-revoir à ce lieu conquis par le Padre José et sa clique. En traversant la ville endormie, le sentiment de quitter un lieu cher, mais aussi la joie de se remettre en route. Et une pensée à chaque coin de rue pour les bons moments passés, gravés dans ma mémoire. Quand je pense que certains me disaient que c’était dangereux de circuler la nuit: j’en rigole encore. Le Brésilien est au moins aussi craintif que le Belge. La télévision n’y est pas pour rien, évidemment. Une halte devant chez Josevaldo pour déposer le vélo qu’il m’avait prêté et laisser un mot à lui et sa famille, et puis la rodoviaria (gare des bus). C’est parti pour Brasilia, alors que le soleil se lève à peine. C’est même parti pour Goiâna car je prolonge dans le bus qui m’emmène, les R$ 30 encaissés par le chauffeur n’entrant dans aucune comptabilité sinon la sienne.
Jour 252
J’arrive après environ 24h de voyage à Goiâna, ayant rencontré Carlos, un jeune brésilien à l’esprit critique, à qui je refile toute une série de références. Assez fatigué, je décide malgré tout d’enchaîner pour Cáceres, tout proche de la frontière bolivienne, pour enfin refaire du stop. Arrêté vers midi dans une de ces stations dans lesquelles il n’y a qu’un restaurant hors-de-prix à un kilomètre à la ronde, j’éclate devant le prix du repas. D’habitude, j’essaie toujours de trouver autre chose, parfois ça marche, mais c’est chaud parce que le temps d’arrêt est minuté. Là, il y avait même des grilles tout autour du resto pour bien être sûrs que tout le monde passe bien par la caisse pour se faire entuber. Enervé, je ne pourrai pas m’empêcher de m’en prendre à la caissière :”Isso é roubo!”. Me replongeant dans le sujet des biocarburants que j’avais un peu délaissé, la suite du voyage est sans soucis et nous arrivons en début de matinée à Cáceres.
Jour 253
On m’indique le bureau de la police fédérale qui me permet d’avoir le précieux tampon de sortie, avec même un jour d’avance. Une fois cette bonne étape franchie, retour au stop. Personne ne me prend sur les 7 km qui séparent la ville de la route qui va vers la frontière! C’est en sueur que j’arrive pour demander de l’eau au poste de douane, nargué au passage par un gros fonctionnaire faisant de l’excès de zèle. Bon, c’est vrai que la photo de mon passeport ne me ressemble plus vraiment… Mais bon… Je m’arrête plus loin pour manger: comme d’habitude au menu riz, haricots, quelques légumes et des oeufs puisque j’ai demandé à ne pas avoir de viande, avant de boucler à pied ce qui reste jusqu’à la dernière ligne droite. Là, je rencontre un contrôleur qui me donne les horaires des bus. Je me rebattrai sur le dernier si le stop ne donne rien. C’est ce que je croyais faire, après des heures d’attente, sortant même la guitare pour me donner plus de chances, quand Ronal s’arrête. Je fais avec lui les 100 km jusqu’à San Mathias, avec passage en Bolivie.
Je passe deux jours à San Mathias, une ville pas trop sympa, où j’apprends que les Boliviens du coin n’aiment pas les Brésiliens (mal barré avec mon accent), et où la nourriture est très stéréotypée: poulet, ou viande pannée, frites et riz dans la même assiette et toujours les quelques misérables légumes dont j’apprends que tout est chimique. L’exception au niveau des pulvérisations semble être les oranges. J’en achète un bon paquet, ce qui me rafraîchit lors des journées torrides. Plus chaud que le Nordeste!
Jour 256
M’étant bien reposé, je me remets en route avec l’espoir de faire du stop, et si ça ne marche pas, de prendre le bus pour San Ignacio de Velasco. Peu de voitures, et une route poussiéreuse. N’ayant ni carte, ni nourriture, je décide de rebrousser chemin, et d’aller en bus jusqu’à San Ignacio. Dans le bus, je rencontre Adrian, qui termine ses secondaires dans un collège privé de San Ignacio. Je suis navré quand je me rends compte qu’ici aussi, il n’y a guère de choix alimentaire. On mange en plein surréalisme de la malbouffe dans un restaurant “chinois”, Pollo Pekin, où le poulet industriel-frites est servi devant un vieux film d’arts martiaux. Le père d’Adrian possède deux hôtels, et c’est gentiment qu’Adrien s’arrange pour que je passe la nuit dans l’un d’eux.
Jour 257
Comme mon hôte me fait visiter la ville le lendemain, je suis trop tard pour le stop. Aucune voiture ne passe ou alors ils vont juste un peu plus loin. Je rebrousse chemin en me disant que s’il y a un bus de nuit, j’irai encore via ce moyen jusqu’à Santa Cruz mais ce sera le dernier bus avant un moment! Il y a effectivement une « flota » pour seulement 50 Boliviens, soit environ 5 euros. J’achète le ticket, et suis parti pour une nouvelle nuit roulante, moins confortable cette fois.
Jour 258
C’est une belle drache qui m’attend à Santa Cruz, et la température est plus fraîche. J’appelle José, mon contact à Sucre, pour lui dire que je ne suis plus très loin de lui, mais que je vais faire le chemin en stop, en passant par les communautés paysannes. Car on m’a indiqué que les gens du marché vendent des légumes sans produits chimiques.
Jour 259
Ayant passé la nuit à l’hôtel, je me lève vers 4h pour rencontrer les maraîchers qui débarquent leurs légumes, pour apprendre qu’ils restent là en permancence mais que les camions font des allers-retours avec le village. Pas de bol, dans le camion, alors qu’on passe à-travers de superbes paysages montagneux, j’apprends qu’il n’y a rien de biologique là où ils vivent, à Los Negros. Déçu, et sentant les gens assez méfiants, je décide une fois arrivé que je vais aller directement à Sucre. J’apprends aussi que le stop est payant en Bolivie, à mes frais. Ce n’est pas cher, c’est clair, mais ça change la donne en terme de rapport non-intéressé, qui est ma motivation première pour le stop. Pour couronner le tout, le couple chez qui je mange une pizza, argentino-bolivien, me sert une pizza congelée vraiment pas fameuse et super chère, alors que je leur donnais des conseils d’agriculture biologique! Ayant trouvé une chambre pour passer la nuit, dans une annexe du restaurant tenu par une matronne aimable comme un porte de prison, je m’endors d’un sommeil lourd.
Jour 260
Je me lève bienheureux de quitter les lieux, croisant au passage une famille partant au champ, le père ayant au dos le matériel de pulvérisation faisant partie du package promu à souhait par les publicités énormes du coin. Faisant du stop à la sortie du village, une camionnette me permet de faire 15 bornes. A quelques kilomètres se trouve une bascule obligatoire pour les poids lourds. Là, Félix accepte de me prendre, et en plus il va à Sucre. Un autre voyageur m’accompagne dans la benne, il s’appelle Luis et est bolivien. Mais le voyage est difficile, et Félix pas très sympa finalement.
Jour 261
La nuit n’est pas des plus confortables, sur les sacs de riz et de ciment, mais le plus dur est la relation avec Félix. Un peu après que Luis soit descendu, arrivé dans son village, je décide de quitter le convoi moi aussi, devant l’incompréhension du chauffeur qui me voit gravir les lacets avec mon sac-à-dos et ma guitare, alors qu’on est à 60 km à peine de Sucre! Mais je retrouve mon indépendance, et ça fait du bien. Après une belle distance, j’ai droit à un p’tit lift de Seno, jusqu’à proximité de Surima, un petit village. La marche m’a épuisé, et c’est avec plaisir que j’accpete le tabouret que m’indique Fidel, petit commerçant du coin. Je me rends tout de suite compte que là je suis arrivé au bon endroit. Une discussion avec les locaux me remet d’aplomb, et Fidel me propose l’hébergement pour la nuit. Après un coup de fil à José, je retourne chez Fidel chez qui sont rassemblés les gens du coin. On parle beaucoup, et je sens que petit-à-petit je gagne la confiance même des plus fermés. La guitare est de sortie et c’est une superbe soirée en musique, ça faisait longtemps! Crevé, je laisse ma compagne de voyage avec Fidel et ses amis, qui continuent sur des chants en quechua, l’alcool aidant.
Jour 262
Je rencontre l’oncle de José qui par le plus grand des hasards habite Surima. Ensuite, je commence le stop et c’est une grande surprise pour moi que d’être pris directement par des gens de Cochabamba, allant livrer des poulets à Sucre. Ca monte drôlement et un peu avant midi, j’arrive à mon objectif. José me retrouve et écoute avec un peu d’incompréhension mon parcours mouvementé. Il se trouve qu’il connaît toutes les ONGs du coin, et compte bien me les présenter. Mais en attendant, un peu de repos!
Ca faisait un moment que la ficelle dormait dans mon sac. Mais une demande d’Alan de l’école Umbuzeiro l’a réveillée! En partant d’une adaptation déjà réalisée à São Paulo par Guillaume, ami français lui aussi passionné de ficelle, j’ai ponctué avec Alan l’adaptation à la réalité du Nordeste. Et c’est cette version toute neuve qui a été testée avec un groupe composé des personnels de COFASPI et de l’école Umbuzeiro, mais aussi de quelques extérieurs, comme une prof de secondaire qui a adoré. COFASPI est l’ONG au sein de laquelle je passe beaucoup de temps, et qui a permis la création du marché bio local. Comme j’étudie celui-ci, je suis naturellement entré en contact avec eux, avant d’élire domicile dans le bureau de la coordination. A côté de la création de marchés bio locaux de petits producteurs (COFASPI est en train d’en créer pas mal), ils construisent aussi des citernes d’eau. L’école Umbuzeiro forme elle des éducateurs, qui sont pour la moitié des agriculteurs, aux principes de la permaculture. Durant cette formation de deux ans, ces éducateurs combinent travail au sein d’une communauté (par groupe de 2 ou 3) et week-ends de formation/retour. Les principes pédagogiques suivis s’inspirent de Paulo Freire, Leonardo Boff,.. avec pour objectif l’intégration des techniques agro-écologiques au sein des communautés, pour préserver (voire regénérer) cette région semi-aride appelée sertão.
Le jeu s’est déroulé sur une demi-journée, ce qui m’a permis d’approfondir le côté « alternatives », avant de conclure par une auberge espagnole, portant le nom de repas communautaire ici. Le principal objectif était de transmettre l’outil, mais une séparation des déchets organiques est maintenant testée chez COFASPI (on va voir si ça va durer). L’école Umbuzeiro a apprécié et utilisera le jeu durant la rencontre de juillet avec leurs éducateurs, et d’autres personnes ont d’ores et déjà promis de dérouler un peu plus… une ficelle toujours plus grande!
Cette fois-ci c’est Marta que je dois remercier. Marta est une jeune brésilienne, serveuse dans la baraque à beijú (genre de crêpe fait à partir de tapioca, la farine de manioc) que j’ai pris l’habitude de fréquenter à Jacobina. Elle est tenue par Antonio, assez conformiste, et originaire de São Paulo. Qaund on me demande ce que je fais ici, je parle de la « feirinha », le marché bio du mercredi, et des communautés locales que je rencontre. Antonio fait partie de ceux qui ne croient plus en leurs rêves. Quand j’ai parlé du mien, il a presque rigolé. Marta, elle, a écouté sérieusement et m’a parlé du sien: devenir psychiatre. Et en parlant de rêve, elle m’a fait découvrir la source du sien: Augusto Cury. Jamais entendu, mais pourtant best-seller ici au Brésil. Psychiatre et chercheur, Augusto Cury s’est mis à écrire, et si je dois faire un parallèle sur son influence sur la pensée, je citerais Bernard Werber, dont l’influence sur mes rêves fut grande. Et oui, avant d’être un colibri, je fus une fourmi…
Ne renonce jamais à tes rêves, c’est le titre du bouquin que j’ai décidé de lire. Et je ne suis pas déçu. Augusto Cury énonce de nombreuses choses avec lesquelles j’entre en accord. En s’attaquant à la façon dont on pense, il offre à la psycho-sociologie une belle contribution. Ce que je retiens particulièrement (mais une chose qu’il n’a pas inventée): la psycho-adaptation. Elle peut aussi s’appeler conformisme. C’est quand l’être humain (mais bon à mon sens ça devrait sans doute s’étendre à de nombreuses espèces) ne réagit plus lorsqu’il est soumis de façon répétée au même stimulus: il s’habitue quoi! Et Augusto Cury met le doigt sur ce qui est à la base du désastre mondial actuel: l’acceptation de l’inacceptable. Alors que tant de choses mériteraient qu’on s’indigne (Lire Indignez-vous de Stéphane Hessel, pour une introduction soft), qu’on se révolte, on y pense un moment avec angoisse, en regardant la télévision, et puis on essaie vite d’oublier, en espérant que le monde ira mieux demain ou un peu moins mal, et ce par l’action des autres, en particulier de ces politiciens qui après tout sont quand même payés pour ça. Et c’est là toute la perversité des choses: plus on en voit, moins on réagit, plus on s’y fait! Le premier acte de courage, presque héroïque aujourd’hui est bien celui-là: éteindre la télévision. J’en connais qui l’ont pendue dans leur jardin, d’autres qui l’utilisent comme table. Ne la jetez pas, et ne faites pas un cadeau empoisonné aux autres, mais rien ne sert de la détruire à la masse, à l’aire du recyclage, de la réutilisation, de la réinvention de nos modes de vie.
Rêver demande du temps. Il y a peu, j’apprenais l’existence du sommeil polyphasique, qui consiste à dormir très peu, à intervalles réguliers, et de ne dormir ainsi que quelques heures par jour. Cette technique serait d’ailleurs utilisée par les moines Zen ou le fut lors d’une certaine guerre par les pilotes d’avion de l’armée américaine. Je n’ai pu m’empêcher de me demander dans quelle mesure cette structure du sommeil n’empêchait pas de rêver… Il y a quand même un côté toujours plus là-derrière… Augusto Cury précise dans son bouquin que le rêve dans il parle est autre que ces rêves nocturnes, il s’agit de grands rêves conscients, qu’il nous incite à ne pas mettre de côté. Et là il a formulé le syndrome de la pensée accélérée, dont une partie de la population mondiale est atteinte. Ce syndrome découle de l’augmentation exagérée de construction de pensées. C’est là aussi que la télévision joue un rôle, imprimant (comme me l’avait justement fait remarquer mon père) un rythme d’enfer aux informations qui sont diffusées. Résultat: on n’arrête pas de penser, mais sans se concentrer sur ce qu’on pense, sans esprit critique, sans réflexion d’ensemble. Pour Augusto Cury, le système social créé par les adultes est un crime contre l’esprit des jeunes, qui perdent l’envie d’apprendre, sont insatisfaits, anxieux et ont besoin de beaucoup pour conquérir si peu sur le terrain des émotions. La jeunesse mondiale a surtout perdu la capacité de rêver.
Dans les sociétés modernes, il est normal d’être malade ou stressé. Il est anormal d’être en bonne santé. D’avoir du temps pour aimer, rêver, contempler les choses simples.
Là où Augusto Cury me parle vraiment, c’est par sa métaphore des jambes. Si rêver est important, qu’est-ce qui fait qu’on va au bout de ces rêves? Pour lui, la capacité à rêver est une des deux jambes qui a besoin de l’autre pour avancer: le courage, l’auto-discipline, la persévérance. Et là, nous arrivons à l’autre pan du problème. Ce qui manque actuellement aussi cruellement, c’est le courage. Si nous retournons un peu en arrière, comment enseigner le courage quand tout le monde s’incline devant les atrocités actuelles, sans chercher à les comprendre? Combien de professeurs détruisent la capacité de rêver de leurs élèves? Comment? Augusto Cury l’explique par le phénomène RAM (registro automático da memória, mise en mémoire automatique), qui est involontaire. Durant deux années passés sur les bancs de l’école, des milliers d’images sont enregistrées, images qui produisent des traumatismes psychiques qui peuvent se perpétuer durant toute l’existence. Ces images génèrent blocage intellectuel, établissent une hiérarchie entre élèves, produisent la timidité, le manque d’assurance et la difficulté de débattre ses idées en public. L’école moderne est productrice de maladies émotionnelles. Augusto Cury critique, et à juste titre, mais il donne aussi des conseils comme une disposition en U de la classe, le passage de musique aux intercours,… Mais revenons au courage.
Je suis actuellement hébergé dans la maison du « Padré José » un prêtre autrichien vivant depuis un long moment au Brésil. A vrai dire il n’y vient plus très souvent, je vis en fait avec des missionnaires de l’ordre cistercien, fondé par Saint-Benoît. Qu’est-ce qu’on s’en… me direz-vous. Mais non si j’en parle, c’est parce qu’en 5° rénové, j’avais fait un travail sur Saint-Benoît justement, bizarre ce lien, non? Me retrouvant sans logement (en plus d’être SDF) à Jacobina, j’ai pensé au Père que je ne connaissais pas mais dont pas mal d’habitants parlent quand ils rencontrent un étranger. Un peu au hasard, je me suis donc présenté à l’endroit indiqué par tous, pour voir si je pouvais être hébergé pour une nuit. Carlos et Carlos Alberto m’ont si bien accueilli que je leur ai demandé si je pouvais me servir du lieu comme base, entre mes visites aux communautés. Ils ont accepté, et ça m’a permis de mieux les connaître. Et quelle rencontre… Le deuxième jour, rejoignant Carlos Alberto à la chapelle pour l’oration du matin (en ce qui me concerne c’est plutôt de la méditation ;-)), il me propose une visite du lieu, dont une chambre intitulée salle des martyres. Elle contient les vêtements de plusieurs religieux, morts… assassinés dans leur combat pour la terre! Il y a même une demi-carcasse d’automobile, incendiée par l’oligarchie locale. C’est ainsi que j’apprends qui est le « Padre José »: quelqu’un qui lutte depuis de nombreuses années pour la réforme agraire dans la région de Jacobina. Carlos Alberto me raconte les trois tentatives d’assassinat dont fut victime le « Padre José », dont une embuscade dont il a échappé, averti par une bonne âme qui travaillait pour un fazendeiro (grand propriétaire terrien) et l’a entendu comploter. Carlos Alberto m’explique aussi que la propriété sur laquelle on se trouve a été conquise, comme de grandes étendues tout autour de la ville, arrachées aux fazendeiros, et qui ont été divisées et données aux plus pauvres. Je comprends mieux pourquoi tout le monde le connaît, et aussi la structure du pouvoir local, contrastant avec le calme apparent qui règne aujourd’hui à Jacobina. Il s’agit de résignation, me dira un autre missionnaire, surnommé « Major ». Augusto Cury dirait psycho-adaptation.
A travers le « Padre José », c’est tout le mouvement de la théologie de la libération que je découvre: ces prêtres et évecs dissidents qui ont décidé de luter contre l’injustice, comme celle du partage très inégal des terres, et ont conquis de nombreuses victoires, à l’image de l’action du « Padre José ». Cette découverte me montre deux choses: la réalité bien tangible du problème de la terre et du contrôle de l’élite bourgeoise au Brésil, pour qui tous les coups sont permis, ainsi que l’intensité de courage déployée pour y faire face par des êtres. Car en terme de courage, je pense que ces personnes n’en manquent pas, et méritent d’être reconnues. Et puis si on a tenté de l’avoir, le « Padre José » a aujourd’hui enterré tous ses ennemis, dont un à qui il a donné son pardon au moment de l’extrême onction. Augusto Cury lui prend l’exemple de grands personnages de l’histoire pour analyser leur parcours. Ce qui est caractéristique, c’est leur courage, leur ténacité à aller au bout de leurs grand rêves. En analysant leurs échecs, leur doutes, il tente de montrer que c’est à la portée de tous, pour autant qu’on ose. Je sens déjà le malaise chez vous, en train de se dire: mais il veut qu’on soit des martyrs ou quoi? Non, tout simplement, je pense qu’oser commence par un petit pas, et que le courage s’apprend, au fur et à mesure. Nous n’avons pas besoin de héros allant au casse-pipe nécessairement, mais nous avons besoin d’êtres courageux, maîtres d’eux-mêmes et qui ne se soumettent pas à l’autorité. Nous avons un grand besoin de désobéir. Augusto Boal disait « Etre citoyen, ce n’est pas vivre en société, c’est la transformer ». Eteindre sa TV, rêver, et se donner les moyens d’atteindre ses rêves c’est à la portée de tous, non?
Et puis l’appétit vient en mangeant…
En attendant, je continue de réaliser le mien, et j’espère que ce partage vous révèle les vôtres, et encore plus vous donne l’envie de les réaliser.
Ah oui, le rêve dont j’ai parlé à la baraque de beijus est le suivant: que toute la nourriture dans le monde soit produite de façon agro-écologique, ce qui implique une révolution profonde de notre sytème, et de notre façon de penser. Je ne le lâcherai pas!
Je suis depuis environ un mois dans l’état de Bahia, et principalement à Jacobina, environ 300 km à l’ouest de Salvador de Bahia. Arrivé en bus depuis Recife, après des galères de stop en quittant Natal (un jour et demi pour à peine 200 km), j’y ai rencontré l’école Umbuzeiro, rattachée à l’institut de permaculture de Bahia. Très vite, on m’a parlé du marché bio local, qui regroupe des petits agriculteurs de la région et fonctionne en auto-gestion. La découverte des maraîchers m’a rapidement convaincu, et j’ai décidé de m’arrêter un moment pour poser mes yeux systémiques sur cette véritable alternative. C’est ainsi que je passe de communauté en communauté, découvrant leur travail, leurs joies, leur rêves. Et c’est tout simplement passionnant. Je vous laisse quelques photos, avant d’en parler beaucoup plus longuement par la suite.
Si je suis resté longtemps silencieux, c’est parce qu’en effet, le MST c’est un gros morceau. En débarquant à Natal, j’ai tout de suite senti le vent néo-libéral souffler sur une ville ayant servi de base américaine lors de la seconde guerre mondiale. Au lieu de tourner le dos à cet état où la conscience écologique est embryonnaire et l’individualisme roi, j’ai choisi de rencontrer le MST dans ce climat peu alternatif. Via le MST, et sa lutte pour la réforme agraire au Brésil, j’ai investi la difficile question de l’accès à la terre, condition première … pour produire des aliments! J’ai pris conscience d’être un sans-terre moi aussi, et qu’une réforme agraire serait tout à fait à l’ordre du jour en Belgique aussi… Dans un autre style bien sûr: dans notre cas, c’est comment revenir à des exploitations à taille humaine, et donc rediviser les terres. Mais on ne peut pas considérer nos braves paysans, devenus agriculteurs, et ensuite devenus malgré eux entrepreneurs agricoles comme les fazendeiros brésiliens, possédant des terres démesurées dans un pays de 283 fois la surface de la Belgique!
Loin des tapis rouges, j’ai vu à quel point il est difficile de penser collectif et écologie dans les acampamentos (campements du MST) de l’état de Rio Grande do Norte. Corruption, crimes impunis, aides sociales et profiteurs du système, la branche locale du MST lutte contre un paradigme capitaliste dont elle a elle-même du mal à se défaire. Car la priorité est, de loin, d’améliorer sa condition financière. Si augmenter ses revenus est tout à fait légitime, le mythe poursuivi présage un déclin de l’agriculture paysanne, tout comme ce fut le cas chez nous. L’accent est mis sur l’éducation, et la génération à venir ne semble pas prête à porter le flambeau qui sera repris avec plaisir par l’agro-business. Bref pas tout rose en termes de résultats, mais c’est intéressant de rencontrer les difficultés du terrain auxquelles est confronté le MST. J’aurai l’occasion dans la suite de rencontrer des exemples plus probants de l’action du mouvement.
Et en attendant, j’ai beaucoup appris de la réalité brésilienne, et de la langue aussi. Je maîtrise chaque jour un peu mieux le Portugnol, au point d’être pris pour un Argentin (certains trouvent que mon look d’acampado me rapproche du Che…). Et je laisse comme d’habitude beaucoup d’amis sur la route, à qui je souhaite beaucoup de volonté et de courage, afin de préserver l’agriculture familiale. Je laisse aussi des airs de guitare, des chants, de la poésie,… des morceaux de la Mystica du MST, qui porte en elle un rêve de société juste et solidaire, nourrissant l’âme de braves militants qui oeuvrent à contre-courant d’un Brésil sur lequel est inscrit: ordem e progresso (ordre et progrès). Le progrès envisagé pour l’instant nécessite effectivement un maintien de l’ordre…
Une petite chanson un soir, devant la baraque de Luis, la guitare passant par là…
Pour mon dernier jour à Natal, je me suis levé de bonne heure pour répondre à l’invitation de Raphaël Charlier de passer dans son émission « Connexion » sur Pure FM, radio belge. Il avait eu vent du projet par mes amis voyageurs Claire et Jean-Loup. Bon, ce n’est pas un secret, j’aime bien parler… J’ai tenu plus de huit minutes à l’antenne. Promis, Raphaël j’essayerai d’être plus direct la prochaine fois!
Arrivé depuis 3 semaines à Natal, je suis maintenant dans le coeur du projet, avec mes premières interviews relatives au mouvement des sans-terre (MST). Déjà plus de 10h de prise audio, la découverte d’une grande complexité et de nombreuses questions. Pratiquant le Couchsurfing depuis mon arrivée dans la ville, je partage pour l’instant l’habitat d’un groupe de jeunes bien sympathiques, à haute conscience écologiste, contrairement à la moyenne locale. La chaleur est présente, mais heureusement le vent souffle souvent par ici. Mon plus gros problème: les moustiques, mon calvaire atteignant aujourd’hui 50 piqûres par pied. Je vais de ce pas acheter une moustiquaire, et plonger dans la mer, à la température douce, et bien rafraîchissante par ce climat estival.